1915 : "le temps de Mai" par Abel BOYER
Durant la Grande Guerre, beaucoup de combattants ont cherché à s’évader des douleurs du quotidien par l’écriture. Les compagnons qui avaient des talents de poète ont repris la plume entre deux attaques. Le maréchal-ferrant Abel BOYER, Périgord Cœur Loyal (1882-1959) était l’un d’eux.
En mai 1915, à Tauxières-Mutry (Marne), il compose ce poème où il exprime le contraste entre le printemps qui renaît et la guerre toujours présente : le bruit des canons étouffe le chant des oiseaux et les paysans ont déserté les champs pour combattre. Mais l’Espérance subsiste… Le poème fut publié dans la Revue des groupes fraternels d’octobre 1915, sous la rubrique « Les Muses aux Champs de Mars ».
LE TEMPS DE MAI
Par le temps de Mai que la terre est belle
Les prés sont fleuris, les taillis sont verts
Au seuil des maisons couve l’hirondelle
De belles moissons les champs sont couverts
De partout surgit et renaît la vie
Il n’est bruit que d’ailes et que de chansons
Mais, dans le lointain, grondent les canons
A d’autres pensers leur voix nous convie.
Par les matins clairs quand le soleil dore
Les coteaux chargés de fleurs, de miel
Montent les parfums que jette l’aurore
Et que la terre offre à son tour au ciel.
Les frêles muguets agitent leurs cloches
Sur les ruisselets aux sons argentins
Qui font en courant tourner des moulins
Et vont se perdant au milieu des roches.
Par les chauds midis à travers la plaine
Le vieux laboureur guide ses bœufs lents
Au creux des sillons il jette la graine
Mais du geste las de ses bras tremblant
Pourquoi ne voit-on, menant la charrue
CoMme l’an passé, de robuste gars ?
C’est qu’ils sont partis combattre là-bas
Le pillard teuton qui sur nous se rue.
Jolis soirs de Mai, soirs aux mille étoiles
Soirs timbrés d’argent par les angelus
Jolis soirs sur qui la nuit tend ses voiles
Combien d’entre nous ne vous verront plus.
Mais au temps de Mai fleurit l’espérance
Et son doux soleil sèche bien des pleurs
CoMme la rosée qu’il boit sur les fleurs
Il boit notre sang pour sauver la France.
Tauxières-Mutry, mai 1915
Abel BOYER,
Périgord, Cœur Loyal