24, 25 et 29 juin : Saint-Jean, Saint-Éloi et Saint-Pierre
Parmi les saints fêtés en juin par les compagnons d'hier (et, quoique plus rarement, d'aujourd'hui), figurent saint Jean-Baptiste (le 24), saint Éloi (le 25) et saint Pierre (le 29 ). Qui sont ces saints ? Quels sont les compagnons qui les fêtaient ? Et pourquoi ?
Saint Jean-Baptiste est cité dans les Évangiles comme un prophète annonçant la venue du Messie. C'est lui qui baptisa Jésus dans les eaux du Jourdain. Plus tard, emprisonné par le roi Hérode, il périt décapité par le caprice de Salomé.
Saint Éloi, né à Chaptelat en Limousin vers 588, mort en 659, fut évêque, conseiller et trésorier des rois Clotaire II et Dagobert Ier. Il était aussi orfèvre.
Saint Pierre, enfin, est l'un des douze apôtres du Christ. Il fut le premier pape à Rome.
Ces trois saints ont été honorés par les artisans des communautés de métiers (ou corporations) au Moyen Age et les compagnons du tour de France ont fait de même.
Saint Jean-Baptiste est le saint patron des compagnons tonneliers-doleurs du Devoir (rite de Maître Jacques) et des compagnons tonneliers-foudriers du Devoir de Liberté (rite de Salomon). La Saint-Jean était l'une des dates auxquelles ils recevaient de nouveaux compagnons et le lendemain de la cérémonie avait lieu diverses festivités, dont un banquet et un bal. Pourquoi avaient-ils adopté la Saint-Jean ? Parce que, selon l'une de leurs traditions, le saint aurait été décapité avec une doloire, lourde hache à lame rectangulaire, très tranchante, servant à la refente du merrain et à la confection des douelles. Les douelles ou douves sont les planches de chêne, de châtaignier ou d'acacia qui, une fois biseautées, cintrées, assemblées et cerclées, forment un fût.
Saint Jean-Baptiste était aussi fêté par les compagnons blanchers-chamoiseurs, mais pour une autre raison. Les blanchers-chamoiseurs du Devoir étaient des tanneurs spécialisés dans le travail des petites peaux de mouton et de chèvres. Ils avaient adopté ce saint comme patron, car dans les Évangiles il est écrit qu'il était vêtu d'une simple peau de chameau.
Enfin, les compagnons charrons puis charrons-carrossiers du Devoir fêtaient la Saint-Jean en recevant leurs nouveaux compagnons à cette date.
A la Saint-Jean succède la Saint-Éloi d'été. "D'été", car il existe aussi une Saint-Éloi d'hiver, qui se fête le 1er décembre. Cette date correspond à celle de sa mort tandis que le 25 juin est celle de la translation de ses reliques depuis l'abbaye de Noyon (Oise) jusqu'à la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Ces deux Saint-Éloi étaient fêtées par les compagnons maréchaux-ferrants, les compagnons forgerons et les compagnons selliers et bourreliers-harnacheurs du Devoir.
Ces corps de métiers ont adopté saint Éloi parce qu'il était orfèvre et travaillait les métaux. Etant toujours représenté en évêque, une crosse dans une main et un marteau dans l'autre, il est aussi devenu le saint protecteur des bourreliers et des selliers, qui emploient eux aussi un marteau lors de leurs travaux, pour clouer le cuir sur le bâti du collier de cheval. Les liens étroits existant entre les maréchaux-ferrants et les bourreliers, tous deux associés aux chevaux, ont favorisé ce commun patronage.
Quatre jours encore, et nous voici à la Saint-Pierre. Quatre corps de métiers encore célébraient saint Pierre. Les compagnons serruriers du Devoir (Maître Jacques) et ceux du Devoir de Liberté (Salomon), l'honorent en s'appuyant sur ces lignes de l'Evangile selon saint Matthieu : "Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux".
Les compagnons cordiers du Devoir organisaient aussi leur principale fête patronale le 29 juin en référence aux lignes qui suivent : "Quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié." Les cordiers s'appuyaient aussi sur l'épisode des Actes des apôtres qui relate la captivité de saint Pierre enchaîné et dit "aux liens". Or, qui fabrique les cordes et les liens, sinon les cordiers ?
Enfin, la Saint-Pierre était l'occasion de recevoir de nouveaux membres chez les compagnons charpentiers du Devoir (Soubise) (photo à gauche) et du Devoir de Liberté (Salomon), ainsi que chez les compagnons couvreurs du Devoir, lors du "passage de la Saint-Pierre".
On remarquera que dans plusieurs corps de métiers, ce sont deux dates distantes de six mois environ, qui sont celles où étaient reçus le plus de compagnons et durant lesquelles une fête plus importante était organisée : la Saint-Éloi d'été (29 juin) puis celle d'hiver (1er décembre) chez les maréchaux et bourreliers, ou encore la saint-Jean (24 juin) et la Sainte-Catherine (25 novembre) chez les charrons. Pour leur part, les blanchers-chamoiseurs, serruriers et cordiers recevaient surtout leurs autres compagnons lors de la Noël.
Ajoutons pour finir que les réceptions de la fin juin sont aussi à mettre en relation avec le solstice d'été (21 juin), date à laquelle le jour est le plus long et la lumière la plus intense. La correspondance entre la lumière et la seconde naissance symbolique du nouveau compagnon, son passage d'un état à un autre, n'est sans doute pas fortuite.
Pour en savoir plus : "Les saints patrons des métiers du Compagnonnage", par Laurent Bastard, conférence publiée dans les Fragments d'histoire du Compagnonnage, n°6, p.6 à 59.